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Histoire littéraire Harlor ou l’ardeur

mai 2019 | Le Matricule des Anges n°203 | par Éric Dussert

Parmi les premières féministes organisées, l’auteure du Triomphe des vaincus proposa qu’une saine révolte secoue la société.

Ils étaient six pêcheurs dans une barque. » C’est sur cette scène de retour au port que la jeune Harlor lance en 1908 son premier livre, Le Triomphe des vaincus. Le roman est ambitieux, son action dense, ses personnages parés et construits. Harlor a 38 ans, elle n’est pas une débutante tout à fait. Son livre paraît en même temps à Barcelone et Paris. Son propos n’est rien moins que politique. Gorgé de vie et de douleurs, ce Triomphe-là ne manque pas d’évoquer Léon Cladel dans ses combats contre l’injustice, N’a-qu’un-Œil (1887) par exemple, où les humbles, à bout de patience, finissent par saisir la fourche et le fléau pour monter la barricade et pour dégonder quelques portes. Thilda Harlor, puisque tel est le pseudonyme complet de Jeanne Perrot, nous offre elle aussi une fresque foisonnante dont certaines scènes sont d’un naturalisme marqué. « Klobotschnigg voulait bien qu’on s’amusât. Il fit construire des gradins, une estrade, et donna une fête de son goût. La troupe d’un café-concert dégoisa, tant qu’on en voulut, des complaintes ineptes et des gaudrioles. La jubilation était énorme. Et, lorsqu’un soldat, le pif en groseille (…) titubant, se tapant les cuisses, pleura sa payse, les échafaudages craquèrent sous le paroxysme des trépignements. Enfoncés les démocrates ! semblait dire le petit Klobotschnigg, qui vint un instant humer le délire. Il bombait le torse, secouait avec importance sa tête chafouine, sûr désormais de sa popularité. »
Née le 7 août 1871 à Paris, Jeanne-Fernande Perrot est la fille d’un chimiste qu’elle hait et ne voit jamais. Il a quitté sa mère alors qu’elle était encore dans les langes. Amélie-Sylvia Ragon de Bettignies, militante de longue date de la Ligue française pour le droit des femmes, se remarie au compositeur et violoniste Richard Hammer. Toute jeune, Jeanne-Fernande se consacre au piano et à la LFDF qui l’accueille à son comité. La jeune femme participe activement à la vie de la ligue, y compris à ses conférences. C’est durant l’une d’elles, en 1895, qu’elle rencontre l’historien du féminisme Léopold Lacour, de vingt-trois ans son aîné, avec lequel elle entame une liaison qui durera jusqu’à la mort du grand homme. Deux ans plus tard, Harlor délaisse la musique pour se consacrer au journalisme : choisissant pour former son pseudonyme de femme de presse trois lettres de chacun des deux noms de ses deux « pères », Hammer et Lacour, elle signe désormais Harlor et ajoute de temps à autre le prénom Thilda qui ajoute un peu de sel exotique à ce patronyme étrange. Avec Harlor, elle a choisi l’ardeur et va le prouver.
Dès le numéro inaugural de La Fronde, le journal lancé par Marguerite Durand en 1897 pour être le porte-parole de toutes les femmes, on s’interroge : La Fronde déclare-t-elle la guerre aux hommes avec son titre en arme de jet ? Il lui revient à elle, Harlor, d’enfoncer le clou en expliquant ce qu’il faut attendre de cet organe : « Il n’est pas l’étiquette d’une inutile guerre de duchesses, ni d’un amusement aux dangereux projectiles, soit pierre, soit égratignante épigramme, mais d’un blâme pacifique, d’une subversion patiente et quotidienne de l’état social actuel (…) Si La Fronde déclare la guerre, ce n’est pas à l’antagonisme masculin, mais aux tyrans qui s’appellent abus, préjugés, codes caducs, lois arbitraires et non adéquates aux exigences nouvelles. Elle ne cherche pour la femme aucun triomphe sur l’homme ». Il est désolant de devoir expliquer toujours la même chose…
La décennie 1900-1910 est pour elle celle des luttes féministes : elle fonde en 1901 le Conseil national des femmes françaises. En 1904, elle dénonce l’absence de femmes dans les comités de la Société nationale des beaux-arts – qui attribuent les cimaises officielles des salons – ou dans celui du Syndicat de la presse artistique.
Mais Harlor est également romancière : Les Ardents paraissent en feuilleton dans Le Journal, puis Liberté, liberté chérie (1916), Arielle, fille des champs (1930), etc. Monographies et biographies se succèdent – d’hommes uniquement ! –, y compris celle du rare poète ouvrier Gabriel Gauny, le « philosophe plébéien », de Georges Lecomte et celle de son amant, Léopold Lacour, le féministe qui vit sa relation en parfaite connaissance de son épouse Marie. Harlor donne aussi son avis sur son entourage et c’est passionnant, dans Tu es femme (Plon, 1913) par exemple, dont elle nie qu’il s’agisse d’un roman à clés du féminisme. En 1917 elle milite pour la guerre contre les pacifistes, rafle le prix George-Sand pour l’ensemble de son œuvre en 1930 et travaille avec Marguerite Durand à sa bibliothèque tout juste ouverte. Elle prend même la direction des affaires en 1936 au décès de Durand jusqu’en 1945. Elle juge que son salariat aura été une « servitude sous une autorité brouillonne ».
Dans le Dictionnaire des féministes (PUF, 2017), Annie Metz a signalé que la bibliothèque conservait pieusement le manuscrit de son autobiographie, Mes chemins (1944-1945) dont elle a interdit la communication avant le trentième anniversaire de sa mort (1970), soit 2000… Parions qu’on lira un jour cet inédit qui promet d’être captivant. Sans doute servira-t-il à celles et ceux qu’annonçait la dernière page du Triomphe des vaincus  : « D’autres foules accouraient »…

Éric Dussert

Harlor ou l’ardeur Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°203 , mai 2019.
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