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Domaine français La vie à bout portant

février 2018 | Le Matricule des Anges n°190 | par Richard Blin

Dans un nouveau volet de son journal intime, Gabriel Matzneff illustre la poésie d’une vie par-delà le Bien et le Mal.

La Jeune Moabite : Journal 2013-2016

Sans se prendre pour Montaigne qui, en exergue à ses Essais, prévenait : « Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre », Gabriel Matzneff n’aura eu, dans le journal qu’il tient depuis ses 16 ans, qu’un seul sujet : lui-même. Fidèle à son choix de tout dire de soi, il se raconte, se dévoile, se confesse, s’applique à cerner sans trêve celui qu’il est. C’est dire combien ce journal est un journal intime, la mémoire d’un corps épousant la vie dans toutes ses dimensions et la réinsérant dans l’écriture. Un corps et un cœur qui, avec une tranquille impudence et une totale franchise, avancent démasqués, sans peur du scandale, réclamant même, à l’instar du héros dostoïevskien de Notes du sous-sol, le droit au déshonneur ou à l’infamie comme si un journal intime n’avait de sens que si on n’y avouait que des choses inavouables.
Que nous montre-t-il ce journal dont La Jeune Moabite est la quatorzième livraison ? Il nous dépeint un homme qui vit exactement comme il voulait vivre : libre, unique, maître de son temps et de ses actes. Un homme pétri de culture antique, réfractaire aux courbettes et aux compromissions, un hédoniste byronien, un libertin métaphysique prétendant réconcilier l’autel et l’alcôve, Dionysos et le Ressuscité. Un voluptueux qui ne veut renoncer à rien et s’affirme « organiquement schismatique ». D’où sa spectaculaire dissonance dans une époque « assujettie aux glapissements puritains », et où règnent les sycophantes et les néo-inquisiteurs qui veulent nous inculquer « l’art et la manière de baiser, de manger ou de penser ». « Je suis ébaubi par la passivité avec laquelle les gens acceptent que leurs libertés soient sans cesse réduites. »
Couvrant la période allant du 24 septembre 2013 au 12 août 2016, jour de son quatre-vingtième anniversaire, ce journal nous livre le contenu des carnets 145 à 158, ceux sur lesquels Matzneff griffonne les notes qu’il prend sur le vif, au nom du principe selon lequel plaisir et bonheur ne sont rien si l’artiste ne les cueille et ne les dépeint. Une écriture très spontanée recueillant l’immédiateté de l’émotion comme la réalité à l’état brut. Une écriture au présent, jouant de la force percutante de la notation, fixant l’instant, et se faisant le reflet de l’éphémère comme de brûlures essentielles. De fait, lire ce journal, c’est voir vivre un oisif très occupé qui a fait de l’écriture et de l’amour un remède contre le temps qui passe. « Il n’y a plus guère d’eau dans la clepsydre, je ne veux pas que le peu qui reste s’évapore en futilités. »
D’où ce désir d’aller au bout de lui-même escorté par le cortège des fantômes de celles qu’il a aimées – et dont beaucoup ont encore le pouvoir de le faire souffrir – et soutenu par deux présences essentielles, celles de Véronique et d’Anastasia, deux ex demeurées très proches, « par-delà l’absence de vie érotique ». Et puis il y aura le miracle, les « heures de délices absolues » partagées avec la jeune Moabite – en référence à la jeune fille qui se couche aux pieds du vieux Booz dans le poème d’Hugo – une étudiante de 19 ans – il en a 79 – qui semble avoir délibérément voulu « être la dernière amante du vieil écrivain, son ultime passion ». Des amours qui ne dureront que quelques mois mais seront vécues comme une « résurrection » par celui qui était « prêt à monter sur la barque de Charon ».
Disant les choses comme elles lui viennent, au fil d’une langue mêlant les mots rares aux expressions pittoresques et à nombre d’expressions italiennes – une langue et un pays qu’il aime et où il vit de plus en plus – l’auteur ne nous cache rien de ses jouissances gustatives (ce sybarite aime les bonnes tables et ne compte pas quand il s’agit de se faire plaisir – « les cercueils n’ont pas de poche » –), nous fait part de sa santé, de ses désillusions, telles la facilité avec laquelle les gens qui l’aiment se passent de sa présence ou le « funeste penchant » des femmes à effacer le passé, une « autolobotomisation dramatique et pitoyable ».
Lucide sur lui-même et pratiquant l’autodérision – « À 78 ans, je demeure His Satanic Majesty, quelle performance ! » – il nous dit tout de ses voyages, de l’état d’avancement de ses écrits (Le Journal est le vivier de ses essais et romans), des chroniques qu’il donne au Point ou de ses mouvements d’indignation contre le tourisme de masse, l’activisme des « maudits pharisiens » et des « maudits quakers », les destructions et les massacres perpétrés par « les cinglés du calife ». Au total, un journal qui ne saurait plaire aux tièdes mais ravira ceux qui aiment vivre à contre-courant ou explorer les frontières du possible et de l’impossible. Richard Blin

La Jeune Moabite, Journal 2013-2016, de Gabriel Matzneff
Gallimard, 704 pages, 29

La vie à bout portant Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°190 , février 2018.
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