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Théâtre Les fantômes du passé

février 2018 | Le Matricule des Anges n°190 | par Laurence Cazaux

Bec-de-lièvre interroge la place donnée à la vengeance et au pardon face aux crimes de guerre.

Bec-de-lièvre : Vengeance ou pardon

Fabio Rubiano Orjuela est né en 1963 en Colombie. Auteur de théâtre contemporain, il est également comédien et metteur en scène. Avec cette pièce, Bec-de-lièvre, il parle de la guerre civile qui a déchiré la Colombie pendant plus de cinquante ans. La pièce a été écrite en 2015. Un an plus tard, les FARC rendaient les armes et réintégraient la vie civile, comme il était prévu dans les accords de paix de 2016. Un système de jugement complexe a été mis en place pour les auteurs de crimes, ce qui pose un certain nombre de problèmes concernant le jugement des actes de guerre et la mémoire des victimes de ce conflit. C’est pourquoi l’auteur a adjoint un sous-titre à sa pièce : « Vengeance ou pardon ».
La pièce commence par l’arrivée chez un certain Salvo d’un garçon au bec-de-lièvre nommé « le Lièvre ». Très vite le lecteur est troublé par des signes étranges, la mère du Lièvre est présente, elle le traite comme un petit garçon mais semble invisible aux yeux de Salvo. Le Lièvre, qui est pourtant un adulte, annonce qu’il n’a pas grandi. Puis il informe son hôte : « Vous m’avez tué monsieur, vous. Vous m’avez tué. Enfin, vous ne m’avez pas tué. Quand vous m’avez enterré, j’étais à moitié mort, pas tout à fait mort. » Il raconte tout cela sans agressivité. Il semble juste vouloir se faire bien comprendre. Ce revenant est même soumis à des envies pressantes, comme celle d’aller aux toilettes au moment où Salvo se saisit d’un bâton pour faire fuir son visiteur importun : « S’il vous plaît, ne m’empêchez pas, la dernière fois qu’on s’est vus, j’ai fait pipi dans mon pantalon quand vous avez sorti la machette. Ça me ferait tellement honte si ça m’arrivait de nouveau et que vous vous moquiez de moi et de mon bec-de-lièvre ». Le Lièvre s’enferme dans les toilettes, et quand Salvo veut le chasser de force, c’est une poule qui en sort, elle s’appelle Yirama et raconte elle aussi son massacre. On comprend alors que Salvo n’est pas en prison mais en résidence surveillée, il a été condamné à un exil de trois ans, une « détention à domicile en territoire neutre », une peine bien légère au regard des meurtres commis du temps où il était dans une organisation armée, meurtres dont il a, bien sûr, sous-estimé le nombre.
Nous sommes dans un espace étrange, entre la vie et la mort, le passé et le présent, nous sommes peut-être même dans la tête de Salvo qui refuse de se souvenir et que certaines images hantent. Les morts s’installent, dans sa maison ou sa conscience, la mère, le frère, la sœur du Lièvre et même des vaches, tous massacrés. Ce petit monde ne se départit jamais de sa bonne humeur. La famille reste incroyablement vivante et tenace, avec nombre de disputes, de moqueries et de rires. C’est comme si les personnages s’étaient extraits de leur tombe pour rendre visite à une vieille connaissance qu’ils vont venir hanter, malicieusement, le temps qu’elle accède à leur demande. Que veulent-ils ? Que Salvo reconnaisse ses meurtres et se souvienne de leurs noms : « Appelez en disant nos noms. Dites-les pour ne pas continuer à nous tuer du fait de n’être personne. » Et puis aussi qu’il leur rende leur poule, Yirama et leur chien Completo.
Salvo est hanté par des spectres, comme dans des tragédies shakespeariennes, mais des spectres plutôt joyeux. Bec-de-lièvre est à la fois une pièce tragique, absurde, surréaliste avec la forêt, les animaux et les morts qui envahissent la scène, burlesque et grave puisque les massacres finissent par être racontés et la mémoire retrouvée. Le texte s’empare d’un sujet grave, la réintégration des criminels de guerre, un sujet qui résonne particulièrement aujourd’hui en France avec le retour de combattants qui ont fait le djihad en Irak et en Syrie.

Laurence Cazaux

Bec-de-lièvre, de Fabio Rubiano Orjuela
Traduit de l’espagnol (Colombie) par Pilar Artaloytia, Les Solitaires intempestifs,
94 pages, 13

Les fantômes du passé Par Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°190 , février 2018.
LMDA papier n°190
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