Cela aurait pu être un roman dégoulinant de nostalgie. C’est tout le contraire. Jean-Marie Chevrier raconte un monde qui bascule vers la modernité, raconte la vie de Baptiste, paysan de la Creuse qui n’a jamais quitté son canton. Une ferme, un peu de terres, quelques bêtes, un tracteur d’un autre âge, les travaux de tous les jours, la rudesse du labeur, la mère qui règne, le célibat forcé, pas de femme pour jouer à l’épouse ou à l’esclave. La chasse à la perle rare (petites annonces dans Le Chasseur français, bals du dimanche) tourne au fiasco. Baptiste se résigne. Ainsi va la vie, précarité, solitude.
Dans ce huis clos surprenant, Baptiste, cinquante ans, s’invente des échappées, il parle à ses abeilles. Quand survient l’accident – au tout début de l’ouvrage, quelques pages extraordinaires de tension – Baptiste désormais handicapé ne pourra qu’abdiquer, mais pas renoncer : il a encore d’autres rêves à vivre.
Jean-Marie Chevrier rend hommage à tous les Baptiste de la terre. Il leur offre une histoire, les réinscrit dans un temps dévoreur d’humanité par la seule grâce de son écriture : « On était arrivé à l’automne. C’est la saison qui semble la plus naturelle ici. Le paysage l’attend toute l’année : le renouveau, la profusion, l’éclaboussure ne sont pas pour lui. Ce pays aime les choses qui se défont et qui s’en vont. Il se sait tellement dur qu’il se croit à l’abri de la disparition. » Impossible de ne pas songer au Pays perdu de Pierre Jourde. Même sincérité, même élégance.
Martine Laval
LE DERNIER
DES BAPTISTE
De JEAN-MARIE CHEVRIER
Albin Michel, 246 pages, 18 e
Domaine français Le Dernier des Baptiste
avril 2016 | Le Matricule des Anges n°172
| par
Martine Laval
Un livre
Par
Martine Laval
Le Matricule des Anges n°172
, avril 2016.