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Égarés, oubliés Enfui des mondes

avril 2015 | Le Matricule des Anges n°162 | par Éric Dussert

Avant Radiguet, Jean Le Roy fut le chouchou de Cocteau. Son grand talent fut brisé en 1918 au cours de l’assaut du mont Kemmel.

La commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale offre de redécouvrir des œuvres dont le souvenir avait été porté avec émotion par les témoins du passage sur terre de leurs jeunes auteurs. Tout au long du siècle dernier, leurs noms furent copiés de page en page, salués ici, longuement évoqués là, regrettés partout. Leurs écrits n’étaient certes pas accessibles, mais en de nombreux volumes de mémoires on évoquait René Dalize, le marin mal enterré proche d’Apollinaire, Jean Arbousset, Paul Drouot, Albert-Paul Granier, Wilfried Owen ou Ernst Stadler, etc. Grâce aux vertus inégalées de l’imprimerie et de la papeterie réunies, il est désormais possible de les lire. Désormais, Le Club des Neurasthéniques (Dalize), Le Livre de Quinze grammes (Arbousset), Euridyce deux fois perdue (Drouot), Et chaque lent crépuscule (Owen), Les Coqs et les aigles (Granier) ont été réédités – et avec les superbes livres de Maurice Genevoix, la récolte est profuse.
Dans ce concert de papier, un nom qui semble d’ancien régime tinte en toute discrétion : Jean Antoine Le Roy, poète de Quimper, né le 28 novembre 1894, mort le 26 avril 1918 à Locre lors de la troisième bataille des Flandres, au moment de l’assaut du mont Kemmel, point dominant de la Flandre Occidentale, dont Léon Groc a fait La Colline héroïque (Rouff, 1919). Un indice sur la violence des combats ? Sur les 5 294 soldats français tués lors de cette offensive, seuls 57 corps purent être identifiés…
Tout jeune encore, l’aspirant Le Roy aux yeux si clairs ressemblait à un collégien. Il avait 24 ans, était orphelin de père et vivait à Paris avec sa mère depuis 1896. Il y fait la connaissance de l’enfant terrible qu’est Mireille Havet grâce à leurs relations familiales respectives, puis ils fréquentent ensemble les cours de l’institut Jacques-Dalcroze et la gymnastique rythmique en 1914. Bachot obtenu, il s’inscrit en droit et titille la muse. Avec bonheur car il emballe les meilleurs comités de lecture de son temps. Il publie son premier poème dans Les Bandeaux d’or en janvier 1913 : « La dernière gare ». Dans Les Horizons, c’est la « Chanson du charbon », puis produit un premier petit recueil de poèmes prometteurs, Le Prisonnier des mondes (Mansi & Cie, 1913), où se noue une inspiration assez cosmique, géométrique, mathématique. Il y développe une poétique encore empreinte de classicisme, certes, mais annonciatrice d’audaces à venir : « Nous avons pensé l’infini./ Nos pensées folles ont bondi/ le bond d’un diable vers le bleu !/ bleu qui fond,/ bon intense,/ danse folle/ vers des pôles ;/ puis, arrêts lents/ des élans ;/ mais, sur le vide/ leurs reprises !/ Jamais d’arrêt/ dans nos pensées/ qui vont se ruant sans zig-zag/ coupant terriblement les éternelles vagues/ des ondes tendres de la nuit./ Longues torpilles entre des mondes blancs qui dansent des quadrilles ! »
Mireille Havet qui collabore déjà aux Soirées de Paris le présente à Apollinaire – et à René Dalize, le secrétaire de rédaction – qui publient dès mars 1914 « Le Relief des choses » dans leur revue. Bien qu’exempté, le nouvel étudiant en droit s’engage au début de la guerre avec sa classe 1915. Il rejoint en décembre 1914 la caserne de Decize dans la Nièvre. Après les classes, il devient mitrailleur au 413e d’infanterie. Puis, après un passage à Saint-Cyr où il obtient le grade d’officier, il rejoint au front le 6 août 1917 le capitaine René Dalize au 414e régiment d’infanterie. Là, avec François Bernouard – leur futur éditeur à tous les deux –, Dalize et le jeune Le Roy publient la revue de tranchées Les Imberbes. Tandis qu’ils pataugent dans la boue la littérature les tient.
Dalize permet à Jean Le Roy de collaborer à Nord-Sud, et le jeune homme correspondant avec Mireille Havet. « Ne voudriez-vous pas connaître l’énorme beauté des batailles et des mouvements de troupe ? » lui écrit-il. Fin 1917, à l’occasion d’un passage à Paris, il fait la connaissance de Jean Cocteau qui lui voue immédiatement une profonde amitié. Les deux poètes s’écrivent presque quotidiennement jusqu’au 26 avril 1918, jour où une balle frappe Jean Le Roy à la tête. Désemparé, Cocteau écrit à André Gide : « Le Roy était devenu en quelque sorte mon élève. Il était jeune, beau, bon, brave, génial, simple, c’est ce que la mort aime. Vous me plaindrez ». L’édition récente de sa poésie complète prouve s’il en fallait que Jean Le Roy n’avait, dès 1913, pas grand besoin d’un professeur. Ce petit prodige écrivait alors « Lourd navire anglais dans le soir qui croule,/ lourd bateau trop haut grimaçant de mats/ grimaçant de grues, grimaçant de cordes/ et d’où l’on décharge à large fracas/ (bandes de porteurs, poussiéreuse horde)/ dans des sacs cornus cent mille kilos/ de houille rouée au fond du cargo/ Sous le soir qui déborde des navires/ charbonneux du ciel où flambent des flaques -/ noir débarquement ! fracas et soupirs/ chaudement vêtus dans le soir opaque/ par le grand manteau des vibrantes cloches/ d’une énorme église étrangement proche/ d’une énorme église à quatre croix d’or. » En 1918, tout à sa dévotion pour son jeune ami, Cocteau compose un poème et une préface en son honneur, et donne à François Bernouard, de retour du front, ce recueil de poèmes, Le Cavalier de Frise. Il est naturellement repris dans ces œuvres complètes que sont De Quimper aux tranchées avec son lot de poèmes retrouvés. On peut désormais s’y faire une idée du grand talent flingué de Jean Le Roy.

Éric Dussert

De Quimper aux Tranchées
Jean Le Roy
Présenté par Jean-François Douguet et Alain Le Grand-Vélin
Les Amis de Louis Le Guennec (Quimper), 216 pages, 20

Enfui des mondes Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°162 , avril 2015.
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