Tony Hogan m’a payé un ice-cream soda avant de me piquer maman
Chez Kerry Hudson, les nouveau-nés ont la parole. La dernière venue chez les filles Ryan tout du moins, dont le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle n’a pas la langue dans sa poche. « Tony Hogan m’a payé un ice-cream soda avant de me piquer maman », déclare la petite Janie. « Les femmes Ryan étaient ainsi : poissardes jusqu’à la moelle, elles étaient toujours prêtes à en découdre et savaient frapper là où ça faisait mal. » Le reste est à l’avenant, pétillant, insolent, cynique, enlevé, et mieux vaut pour une existence toute d’apparts miteux, de services sociaux, d’allocations hebdomadaires, de beaux-pères violents, d’alcool et de drogue, de fuites en avant vers pas grand-chose. Kerry Hudson n’est pas la première romancière écossaise à raconter le quotidien d’une Écosse misérable. Songeons à Laura Hird ou à Jenni Fagan. Mais avec ses premiers chapitres racontés via l’œil innocent du bébé, elle donne au texte un mordant original, aussi impitoyable – dès la maternité : « les gens de la famille arrivèrent et se penchèrent si près de mon visage que je pus sentir s’ils avaient picolé ou mangé au petit déjeuner. La plupart avaient picolé », qu’attendri : « des années plus tard on me raconta cet épisode à la manière d’une histoire drôle pour me mettre en garde contre le fameux caractère des femmes Ryan, mais au moment où maman rassembla son courage pour sonner à la porte, il n’y avait rien de drôle, rien du tout, chez cette femme tremblante de vingt ans en chemise de nuit et manteau, avec un bébé qui hurlait dans le landau à côté d’elle ».
Les douloureuses tribulations de Janie et sa mère ne sont jamais dénuées d’une certaine espérance, l’envie d’un nouveau départ battue en brèche par la brutalité des rappels au réel. On passe progressivement de la colère, l’impuissance enfantine, à la rage adolescente de la seconde partie du roman, moins percutante même si côté justesse de ton Kerry Hudson reste irréprochable, d’autant que l’énergie reste la même. De toute façon, Janie le sait ; à la fin, ce qui compte, c’est « LE COMMENCEMENT ».
Julie Coutu
Tony Hogan m’a payé un ice-cream soda avant de me piquer maman
De Kerry Hudson
Traduit de l’anglais (Écosse) par Françoise Lévy-Paoloni
Philippe Rey, 299 pages, 19 €