Qui a tendu un piège dans la pinède par une journée fleurie de printemps ?
Aborder les micro-fictions de l’auteur coréenne Eun Hee-kyung, c’est entrer dans un monde étrange. Les situations nous sont familières : une adolescente, engoncée dans une éducation normative, peine à se faire des amis, un homme d’affaires apprend qu’il souffre d’un cancer. Mais les modes de pensée décrits dans cette partie de l’Asie sont tout à fait différents des standards européens. Ici, on tient compte du calendrier lunaire. Même l’âge se calcule autrement. On apprend, dans des notes nécessaires, que pour les Coréens, « les bébés ont un an à la naissance. Ensuite, ils prennent une année supplémentaire à chaque Nouvel An ». La technologie la plus moderne est étroitement imbriquée dans des traditions centenaires. Dans le meilleur hôpital de la ville, soigné par les plus brillants spécialistes, le vieil homme malade accepte ainsi les remèdes des générations passées : « concentré de soupe de chien et sève fortifiante ». Très bien construites, dans un style à la fois réaliste et poétique, Eun Hee-kyung donne accès à cet univers pétri de contradictions. Elle dénonce une société fortement hiérarchisée, notamment dans le système scolaire. Les enfants pauvres auront de fortes chances d’être refusés dans les bons collèges. Ils se voient déjà condamnés à « devenir un torchon pour éponger les lendemains de soûlerie dans les bars ». Les séances d’auto-critique, au foyer et à l’école, minent le sens moral et cultivent une culpabilité rentrée : « Leur but, c’est pas de te comprendre, c’est de faire regretter ». À l’âge adulte, So-yeon, jeune femme modèle, se coule si bien dans son rôle d’épouse que l’atmosphère du foyer en devient irrespirable : « En fait, au lieu d’un bonheur paisible, mieux vaut dire qu’il s’agissait d’une mise en scène ». L’écrivain explique tous ces ratés de manière implacable : « La vie se répète. On ne peut pas se dégager du piège, et même quand on grandit, les événements se répètent. À chaque fois, on réagit comme on a appris à le faire dans l’enfance, et le résultat est le même ». Un constat bien sombre, mais l’énoncer est déjà une forme de rébellion.
Franck Mannoni
Qui a tendu un piège dans la pinède par une journée fleurie de printemps ?
De Eun Hee-Kyung
Traduit du coréen par Lee Myung-eun,
Anne-Marine Mauviel et Jean Bellemin-Noël
Decrescendo, 137 pages, 15 €