Tulle n’est pas une ville où l’on se rend aisément. Située en dehors des grands axes et mal desservie par le réseau de chemins de fer, la cité corrézienne, avec ses 15000 habitants, offrirait plutôt le calme que la ferveur. Toutefois, dès que possible, les amateurs de littérature n’hésitent pas à faire quelques heures de route pour venir chez Pierre Landry, à la librairie Préférences, où ils savent qu’ils trouveront des lectures essentielles. Préférences, depuis mars dernier, s’est installée face à la cathédrale. Le déménagement depuis la rue Riche où elle se trouvait ne représente pas une bien grande distance, mais le changement est d’importance. D’une petite boutique obscure engoncée dans une rue désertée par les passants, à la vitrine lumineuse devant laquelle le cafetier d’en face a installé quelques tables, c’est comme si Préférences était passée de l’ombre à la lumière. En doublant sa surface.
Pierre Landry nous attend là, en terrasse, profitant des quelques rayons de soleil qui annoncent enfin l’été. Il faudrait inventer une typographie pour dire l’accent québécois avec lequel l’homme, né il y a 61 ans en Gaspésie, nous reçoit et propose à chaque visiteur un café (machine à percolateur derrière le comptoir), un verre de vin (Gaillac ce jour-là) ou un jus d’orange. L’homme a le verbe haut, un tatouage sur le bras et le tutoiement automatique. Sa chaleur explique en partie le succès d’une librairie très littéraire créée il y a dix ans. Un succès sur lequel peu de professionnels auraient misé à cause de la modestie de la ville où elle est installée. À cause, surtout, de la façon avec laquelle notre hôte travaille avec les éditeurs. Pour les néophytes de la libraire, précisons que la règle, en gros, consiste à commander aux éditeurs des livres qu’on ne paie qu’une fois vendus (système du dépôt) ou qu’on se fait rembourser après quelques semaines de présence en rayons s’ils n’ont pas trouvé acquéreurs (faculté de retour). Pierre Landry, à rebours des pratiques habituelles, a acheté en ferme chaque livre qui se trouve ici. On l’a vu passer commande de dix exemplaires de tel titre chez un petit éditeur. À charge pour lui de trouver un lecteur pour chacun des trois, des cinq, des huit et, aujourd’hui, des douze mille ouvrages qu’il possède. Seul dans sa boutique, on le trouve ouvert douze heures par jour, sept jours sur sept et « 366 jours cette année »…
Pierre Landry serait le libraire préféré des éditeurs indépendants… Ce ne sont pas les éditions Verdier qui diront le contraire : en quatre mois, il a vendu quatre cents exemplaires de l’Éloge des voyages insensés du Russe Vassili Golovanov (512 pages, 29 €). À lui seul, ce titre représente environ 10% des ventes mensuelles de la librairie…
Pierre Landry, comment êtes-vous devenu libraire ?
Bâtir une librairie est certainement le rêve le plus ancien que j’avais. Mais il m’a fallu gagner ma vie avant en travaillant en faisant plein de boulots. J’ai eu la chance de...
Entretiens Préférences en tête
juillet 2008 | Le Matricule des Anges n°95
| par
Thierry Guichard
Libraire hors normes, le Québécois Pierre Landry, installé depuis dix ans à Tulle, fait le bonheur de l’édition littéraire de création. En travaillant à rebours de ses collègues : à méditer.