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Poésie Le fouet de la grêle

juin 1996 | Le Matricule des Anges n°16 | par Emmanuel Laugier

Le poète Jacques Dupin se bat avec sa langue et nous la jette, en miette : avec Le Grésil, c’est encore ce fond noir du crops qui parle, et secoue.

Le Grésil

Dans L’Éboulement (éd. Galilée, 1977), la seule pièce de théâtre que le poète Jacques Dupin a écrite, Ottilia lance à Thomas : « Je n’ai rien à soustraire / rien à donner », qui lui répondra « Excepté l’angle aigu / la pincée de sel / le refuge sous ta paupière… ». Excepté l’angle aigu, excepté ce qui troue l’œil et lui échappe toujours, excepté cette pincée de sel, jetée à la diable sur la queue d’un oiseau.
Cette ligne de conduite, Le Grésil, le nouveau recueil de poèmes de Jacques Dupin, la relance encore. Le Grésil : il s’agit d’une grêle fine, blanche et dure de printemps, qui vient fouetter la face du marcheur surpris, et qui se penche pour la traverser. Le Grésil : on pense presque à un fourneau qui gronde, aux bruits d’une viande jetée sur les braises d’un feu. Et les pages de ce livre ont ce son, cet impact, comme quelque chose qui gronde au loin, et venu à soi, tombe en oblique sur le visage : autant de lames serrées, tranchantes, froideur du gel qui rougit la face, la chauffe, brûle.
Au bout d’une vingtaine de livres, recueils de poèmes tels que Contumace (P.O.L, 1986), Chansons troglodytes (Fata Morgana, 1989), Rien encore, tout déjà (Fata Morgana, 1991), Échancré (P.O.L, 1991), Matière du souffle (Fourbis, 1994) et essais sur la peinture (Miró, Giacometti, Bacon, Tapiés, etc.), Jaques Dupin, d’abord reconnu par Char, appartenant à la même génération qu’Yves Bonnefoy et André du Bouchet avec qui il mena l’aventure de la revue L’Éphémère, ne cesse, d’où il écrit et d’où il continue à écrire, d’être jeté dans ce mal d’enfance ouvert avec Cendrier du Voyage en 1950. Mal d’enfance, c’est-à-dire ce qui ne passe pas mais dure, c’est-à-dire encore écrire depuis le premier bond d’une jeunesse qui risque à chaque coup, double son coup, le détruit, le recommence.
Jacques Dupin, c’est, jusqu’au bout, des coups de sangles qui tranchent, un investissement du corps jusqu’à dire son illisibilité, ses cris sourds, ses convulsions d’épileptique. C’est aussi interroger l’écriture, la violence active qui la mine, demander ce que sont que ces taches de lumière en face qui viennent la trouer, renverser sa syntaxe, faire ses cassures, ses heurts. Alors, dans le poème, c’est l’Arabe perdu dans le métro avec un billet et quelques mots écrits dessus, le Marché des enfants rouges du 3e arrondissement, autant de morceaux épars d’une réalité jetée dans les yeux, la présence récurrente du singe, de la singerie, celle de mouches qui font comme la pupille éclatée d’un œil, autant de figures archaïques, vivantes dans le fond de l’homme.
Et dans ce Grésil, c’est, en sept sections, de Tramontane à Chien de fusil, « Sans ne jamais se vider / s’ouvrir/ ou tirer la ligne / d’un autre vagabondage // l’autre cage, la thoracique // et les rocailles de la gorge/le roncier des fosses nasales/le son qui bat contre le cou ». Dans ce maillage de grêle, écrire le « pneuma », « ce qui reste, ce qui respire // dans le mâchefer de (sa) vie », écrire « le stigmate atroce et bleu / de l’air, ou de // la strangulation de l’encre // ou de l’autre / vive et morte // une pieuvre sous la langue / sous la pierre /// qui tire le souffle ».
Jacques Dupin n’a jamais rien soustrait à son écriture, et surtout pas ce qui remonte la casser et l’ouvrir.
C’est pourquoi il y a cette raucité dans cette œuvre, raucité reconduite de livre en livre, davantage abandonnée à ses propres syncopes que donnée, relancée comme autant de pierres se jettent dans un éboulement sans nom. Cela fait une leçon, seule et sauvage.

Le Grésil
Jacques Dupin

P.O.L
120 pages, 120 FF

Le fouet de la grêle Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°16 , juin 1996.