Pragois d’origine, Petr Král (né en 1941) émigre en France après l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie. Nous sommes en 1968 et si Král est proche du surréalisme tchèque, il est surtout diplômé d’une des meilleures écoles européennes de cinéma – la FAMU – d’où sortent également Milos Forman et Emir Kusturica. Ses premiers articles en langue française paraissent dans Positif en 1969. Deux ouvrages consacrés au burlesque américain y analysent la dimension intemporelle et profondément poétique des films de Chaplin, Keaton ou Loyd, notamment. L’homme, non encore poète, gardera la marque singulière de ces univers dont la pudeur et un sens profond de l’autodérision ordonnent de ne point trop appuyer à l’endroit des sutures. De la légèreté avant toute chose…
C’est précisément cette dimension de l’œuvre poétique de Král que l’anthologie se consacre. À l’image de « Poètes d’aujourd’hui » de Seghers, la collection « Présence de la poésie » des Éditions des Vanneaux a confié à Pascal Commère la tâche de choisir et de présenter l’œuvre de son ami et complice de longue date. Aussi y découvrons-nous quarante ans de poésie et de prose consignées dans l’ordre de leur écriture plutôt que de leur publication : choix judicieux qui permet d’appréhender l’évolution du style de Král tout autant qu’une attitude face au réel.
L’homme, véritable « piéton métaphysique », y est prédateur. Toujours en mouvement – y compris dans les méandres de l’intériorité – il passe de ville en ville, de place en place, de l’intérieur à l’extérieur, le regard scrutateur. Aux aguets : « Patiemment, traits pour traits, à force de regards furtifs et de gestes ébauchés, / la réalité précise le dessin de l’événement / jusqu’à la figure juste » (Sentiment d’antichambre dans un café d’Aix, P.O.L, 1991). Le staccato du vers libre y imprime un montage cadencé où le réel et l’ordinaire du réel se saisissent à l’improviste. Ailleurs, la compacité des blocs de prose ralentit le rythme et se veut réflexive : « la mission du poète est moins celle d’un beau parleur que, plus simplement, celle d’un arpenteur de l’existence. S’il parle, c’est d’abord pour donner de ses nouvelles, en indiquant le lieu jusqu’où il a porté sa lampe. Au besoin, aussi, en dehors du poème… » (Témoin des crépuscules).
À mesure, l’œuvre se fait lucidité jusqu’au désenchantement : « Sûr, je ne sais pas plus qu’avant / ce qui se passe, j’ignore toujours les résultats / (…) Ne sais rien, toujours / (…) rien, sinon le frémissement d’une vie absente en toute chose » même si jamais ne manque à la perspective la possibilité d’une issue par l’humour. N’oublions pas en effet que « le poème devrait aussi savoir n’être qu’un journal d’inventeur manqué » (Hors l’épopée).
En 1998, dans une interview au Matricule des anges, le poète confiait : « Il y a un gag de Buster Keaton que j’aime beaucoup : un homme vise une cible et, à sa propre surprise, il en touche une autre. C’est quelque chose que je connais intimement. En affrontant les choses, on tombe toujours sur autre chose que ce que l’on attendait – et il y a dans ce moment où le réel achoppe peut-être plus de plénitude qu’à s’obstiner à vouloir toucher la cible initiale ».
Le détour comme moyen et fin du poème, le contournement comme perspective quitte à se rassurer sans trop y croire comme dans le superbe Pompéi, fin d’été où « Rien ne manquait » au paysage, rien ne manquait au moment, « Rien en manquait, ni personne ; sauf, peut-être, quelqu’un pour qui tous étaient là, que nul n’attendait / et qui seul tardait à venir ».
Christine Plantec
Petr Král
par Pascal Commère
Éditions des Vanneaux, 347 pages, 23 €
Poésie L’homme à la caméra
novembre 2014 | Le Matricule des Anges n°158
| par
Christine Plantec
Quarante ans de traversée poétique avec Petr Král où la mélancolie frôle avec douceur et légèreté nos existences ordinaires.
Un livre
L’homme à la caméra
Par
Christine Plantec
Le Matricule des Anges n°158
, novembre 2014.