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Traduction Catherine Fay*

novembre 2014 | Le Matricule des Anges n°158

Ce que j’ai voulu taire, de Sandor Márai

Ce que j’ai voulu taire

Ce jour-là », le 12 mars 1938, l’Anschluss, l’Allemagne nazie annexe l’Autriche, Hitler entre en fanfare à Vienne. Un autre jour, le 31 août 1948 : Márai, à bord de l’Arlberg Express, traverse la frontière entre la zone soviétique et les zones occidentales et commence son long exil.
Márai a fait de « ce jour-là », le 12 mars 1938, le leitmotiv et le pivot du livre.
Ce jour-là, historique s’il en est, fut d’abord pour l’écrivain une journée ordinaire. Celle d’un écrivain reconnu, d’un bourgeois cultivé, d’un Européen convaincu et d’un social-démocrate hongrois… Celle d’un homme content de sa vie et qui le dit, qui se réjouit de l’article qu’il va écrire et de la perspective d’une soirée au théâtre… Il apprend la démission du chancelier Schuschnigg au journal où il travaille, nouvelle qui le prend au dépourvu : « La plupart du temps, au moment où nous apprenons (…) que quelque chose s’est à jamais terminé dans le monde, nous sommes en pyjama ou en train de nous raser ».
C’est en passant constamment de son existence et de son destin personnels aux soubresauts tragiques du monde que Márai force notre intérêt dans ce livre. C’est au travers de cette oscillation que se structure le texte et que se crée sa respiration.
Ce que j’ai voulu taire, écrit par Márai au début de son exil (entre 1948 et 1950, entre Suisse et Italie) constitue en réalité la troisième partie (qu’on a longtemps cru perdue et qui a été publiée en Hongrie en 2013) de Confessions d’un bourgeois et fait le lien avec Mémoires de Hongrie.
Si Márai a « voulu taire » le contenu de ce livre, chronique d’une période cruelle, c’est qu’il estimait à l’époque que cette critique implacable de la politique menée par le gouvernement de son pays était impossible à accepter pour les Hongrois et risquait de donner aux étrangers une image trop négative de ses compatriotes. Si j’ai voulu le traduire, c’est que, même si le temps a passé, son analyse n’a rien perdu de son intérêt ! Au contraire : dans une Europe en construction difficile, elle donne quelques clés pour comprendre la Hongrie et les rapports complexes entre les pays d’Europe centrale. Comprendre pourquoi, par exemple, le traité de Trianon a joué un rôle central dans l’entre-deux-guerres. Comprendre pourquoi aujourd’hui encore il empoisonne les relations entre les pays limitrophes et encombre la mémoire collective.
L’histoire des pays d’Europe centrale reste en général assez floue pour la plupart des lecteurs français et francophones. Ici, on trouvera quelques explications (pourquoi la Hongrie s’est retrouvée du « mauvais côté » pendant la guerre par exemple) et quelques mises au point peut-être pas tout à fait inutiles.
La réflexion de Márai, fondée sur des connaissances historiques et une solide culture classique, m’a semblé étonnamment moderne et d’une lucidité presque visionnaire (qualités que l’on retrouve d’ailleurs dans son Journal). Le rythme du livre est parfois haletant : on dirait l’homme Márai poursuivi par la horde de ceux qu’il dénonce. On perçoit une autre personne que l’auteur à succès qu’il était alors, on découvre un homme conscient et, de façon étonnante et paradoxale, un bourgeois (complètement assumé) décrivant et souhaitant une troisième voie, entre l’état bourgeois et l’état totalitaire, celle du socialisme.
Je traduis Márai depuis un peu plus d’une dizaine d’années. Je suis tombée un peu par hasard sur Libération dans une librairie à Budapest en 2000. J’ai été saisie par ce récit centré sur le siège de Budapest, siège que ma mère, qui l’avait vécu dans une cave, m’avait raconté. C’est le premier livre de Márai que j’ai traduit… C’est un auteur très prolifique, très varié : romans, nouvelles, chroniques, mémoires, essais, critiques, articles de journaux et revues, pièces de théâtre, poèmes, il n’a jamais cessé, au cours de sa longue vie (1900-1989), d’écrire, de poser un regard à la fois sensible et caustique sur son époque, sur sa classe, la bourgeoisie, et sur l’humanité en général. J’ai appris au cours des années à apprécier son honnêteté intellectuelle et son acuité psychologique, sa grande culture et sa lucidité. Dans Ce que j’ai voulu taire, il exerce également une autodérision qui me l’a rendu plus proche.
Son écriture est plutôt de facture classique. Toutefois il affectionne les longues phrases où s’emboîtent des propositions relatives, où abondent les adjectifs, où l’on perd de vue le sujet, l’objet et le verbe. Les répétitions ne le gênent pas non plus, or le français n’aime pas beaucoup la répétition. Ce qui passe très bien en hongrois est souvent un casse-tête en français. Il faut trouver le juste équilibre. Dans Ce que j’ai voulu taire, les difficultés rencontrées ont aussi été d’ordre culturel et historique. Difficultés provenant de ma propre ignorance, qui m’a amenée à faire d’innombrables recherches et vérifications… Également à lire ou relire « autour » du livre, par exemple, Confessions d’un bourgeois et Mémoires de Hongrie, ainsi que Le Monde d’hier de Zweig.
Si je peux me permettre une petite réflexion personnelle concernant ce travail de « traduction »… Il y a toujours quelque chose qui se passe à mon insu, des petits miracles : je peux rester des heures à me torturer sur une phrase ou un mot mais souvent, le lendemain ou à la dernière minute, soudain, venant d’un ailleurs, s’imposent la bonne tournure, le bon mot, la bonne respiration. Soufflés par l’ange de la traduction sans aucun doute…

* Catherine Fay a traduit plusieurs romans de Sándor Márai (Le Premier Amour, Les Étrangers, La Sœur, Libération…) ainsi que L’Affaire Eszter Solymosi de Gyula Krúdy. Ce que j’ai voulu taire paraît le 6 novembre aux éditions Albin Michel.

Catherine Fay*
Le Matricule des Anges n°158 , novembre 2014.
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