-
Les éructations du colon
Lmda N°252 Mathieu Belezi poursuit son exploration de la matière sombre de la colonisation française en Algérie. Tu vas nous faire un beau discours, Bobby / oui, j’allais le leur faire ce beau discours qu’ils attendaient tous, foutre dieu ! j’allais me le fatiguer le cerveau, me les creuser les méninges, me les chauffer les cordes vocales, me l’actionner la forge à poumons, foutre dieu ! je n’allais pas me gêner ! j’allais la leur raconter notre histoire au président de la République et à ses ministres,...
-
Domaine étranger Invitation au Banquet Le Brésilien Bernardo Carvalho questionne notre rapport au monde d’avant et après-Covid. Un pied de nez métaphysique et malicieux. Enfanter aujourd’hui tient du défi, du pari hasardeux sur un avenir nébuleux. N’en déplaise à ce président aussi impérieux qu’impétueux, dont les formules martiales intiment à un réarmement reproductif. La fragilité climatique et environnementale de la planète, les guerres, l’avènement des extrêmes droites et de matamores illibéraux n’augurent rien de bon. Mais qu’en fut-il en période de Covid ? Au Brésil, le virus fit près de 700 000...
-
Domaine français Gué friendly Sous le prétexte d’un manuel survivaliste, Mathias Forge livre un traité du style qui coule… de source. Accompagné de quatre bois gravés par Jean-Baptiste Cautain, Traverser la rivière, sous-titré « Un manuel pratique », s’origine dans « l’expédition Roubion » à laquelle « tout au long de l’année 2017 » participa l’auteur, en compagnie de trois autres aventuriers de rivière. « Le Roubion est une rivière du sud de la Drôme qui se jette dans le Rhône, aux alentours de Montélimar. Ensemble, nous l’avons longée pendant un an, de janvier à...
Chronique
En grande surface
En grande surface
par Pierre Mondot
I want Ubac
Au mois de novembre dernier, un sénateur issu du centre décomplexé verse en catimini quelques grammes d’ecstasy dans la coupe de champagne d’une amie députée avec l’espoir qu’elle se mélange les chambres. La manœuvre échoue et la dame porte plainte. Afin de justifier le geste de son client, l’avocat propose une circonstance atténuante : la veille des faits, son vieux chat venait de mourir. Presque la réponse d’Agnès à Arnolphe dans L’École des femmes. Pour le même effet : hilarité générale.
Le pays n’est pas prêt à considérer le deuil des animaux de compagnie. Le chien trépasse et la...
Le Matricule des Anges n°250
un auteur
Martin Rueff
Chronique
Traduction
Traduction
Arnaud Bikard *
Le Chevalier Paris et la Princesse Vienne d’Élia Lévita
Rien ne me destinait a priori à traduire un roman de chevalerie, et sans doute encore moins un roman de chevalerie yiddish. Arthur, Charlemagne, le merveilleux, les inimitiés et alliances des familles seigneuriales n’ont pas exercé de charme particulier sur mon enfance. On a bien dû me dire, avant l’âge adulte, que mes grands-parents maternels connaissaient le yiddish (bien que, ne les ayant jamais entendus parler que le français, il m’est arrivé d’en douter) mais cette langue, associée dans mon imaginaire au judaïsme orthodoxe, à la grisaille polonaise, aux disparus de la Seconde Guerre...
Le Matricule des Anges n°248
-
Domaine étranger Défaire le temps Roman élastique sur l’enfance et l’oubli, Mon sous-marin jaune de Jón Kalman Stefánsson est un accordéon autobiographique qui s’étire depuis nos jours jusqu’aux années 1970 en Islande. Un jour de l’été 2022, si proche de celui de notre lecture, un narrateur identique à Jón Kalman Stefánsson se retrouve, dans un parc londonien, face à un fantôme de son enfance : Paul McCartney. Et « les vagues du passé » de tomber sur l’écrivain assis et de le ballotter le temps d’un roman entre ce point de départ et les années 1970 en Islande. Le petit garçon a 7 ans lorsqu’il apprend, au détour d’une phrase, que sa mère est morte. Il vit...
-
Poésie Le William Blake des plages De la mer comme « temps liquide » aux nouvelles Amériques promises par l’espace galactique, où est la frontière entre image et réalité ? Jacques Darras, chevauchant vers et prose, s’est lancé à sa recherche. Porté par une respiration d’espaces et de siècles, un mouvement d’expansion anime le nouveau livre de Jacques Darras. Divisé en deux parties, « La mer en hiver sur les côtes de la Manche » écrite en vers libres, et « L’imagination et le pur vertige d’exister », en prose, il traite de la vie à travers notre relation à l’espace-temps et aux images de la « réalité ». Tout commence avec la mer, « sa respiration palpable, palpitante d’Infini »...
-
Histoire littéraire Tours, rites et dingueries Le Britannique Mervyn Peake a signé avec la Trilogie de Gormenghast l’un des classiques majeurs de la littérature d’imagination du siècle dernier. À l’heure de saluer l’écrivain Patrick Reumaux qui a disparu le 17 janvier dernier, la reparution de sa traduction du chef-d’œuvre inclassable de Mervyn Peake (1911-1968), la Trilogie de Gormenghast, semble l’hommage le plus retentissant que le monde culturel français soit capable de lui rendre. Si la presse est silencieuse à propos de la mort du traducteur, il se peut que le Titus d’Enfer de Peake recueille les suffrages de jeunes critiques...
-
Théâtre Un opéra tout neuf L’œuvre culte de Bertolt Brecht, nouvellement traduite, bénéficie d’un remarquable travail éditorial. L’Arche, la maison d’édition qui veille historiquement sur les œuvres de Bertolt Brecht, poursuit avec constance et intelligence son travail autour des textes du grand dramaturge allemand. Après avoir publié en romans graphiques Histoires de monsieur Keuner et La Résistible Ascension d’Arturo Ui, elle entreprend cette fois de nous faire redécouvrir son œuvre la plus célèbre, L’opéra de quat’sous à travers une très belle édition critique. En...
Intemporels
par Didier Garcia
Violences naturelles
Sergent Getúlio, du Brésilien João Ubaldo Ribeiro (1941-2014), présente une singulière odyssée, aussi bien géographique que verbale.
Comme s’il redoutait que le lecteur se fourvoie, l’auteur a pris soin de lui laisser ce préambule lapidaire : « Dans cette histoire le sergent Getúlio conduit un prisonnier de Paulo Alfonso à Barra dos Coqueiros. » Nous voici donc installés dans le Nordeste du Brésil. Un Brésil dépourvu de tout exotisme, avec seulement « plantes et femmes nuisibles, possibilitant des plaies ; bestioles sournoises, fourmis, scorpions, tiques, faut voir ». Qui pire est, en ce début des années 1950 (sur fond de campagne électorale) : gangrené par la violence et la corruption. C’est d’ailleurs un prisonnier...
Le Matricule des Anges n°210